Plouc du bled. « Je me sens proche des Bretons parce que, comme eux, je me suis senti méprisé à une époque. Je me considère comme un « plouc du bled », un fils de berger, né voilà 59 ans dans les montagnes de Kabylie. À cette époque, il n'y avait pas de lycée chez moi, alors je suis venu à Alger afin de poursuivre mes études. Et c'est là que j'ai subi les premiers quolibets de mes camarades de classe. Ils se moquaient parce que je roulais les ' r ', parce qu'ils étaient des citadins et que j'étais un campagnard ; parce qu'ils écoutaient de la musique ' raffinée ', les variétés françaises ou anglaises. Mais j'ai eu la chance, à ce moment-là, de rencontrer un coopérant français qui m'a appris quelques accords ' modernes ' à la guitare. La musique était en moi parce qu'elle a toujours fait partie de ma vie quotidienne. Je me suis mis à créer de nouveaux sons à partir des rythmiques kabyles, et ça a marché du feu de Dieu. Le plus drôle, c'est que les gens qui m'ont enlevé la guitare des mains, parce que je faisais de la ' musique indigène ' ont ensuite essayé de se trouver des origines kabyles. Vous imaginez ma revanche ! »
Coeur kabyle et breton. « J'aime beaucoup la Bretagne, je me sens tellement chez moi ici. Je ne peux pas oublier que c'est cette région qui m'a accueilli la toute première fois en tant qu'artiste. C'était l'époque des grands spectacles à Brest et des manifestations à Plogoff. C'est aussi en Bretagne que j'ai rencontré ma femme, Alicia, voilà vingt ans, à l'occasion d'un concert à Ploufragan, près de Saint-Brieuc. Bretons et Kabyles, nous avons tant d'affinités ! Tenez, je me rappelle, j'étais dans une caserne en Algérie où j'effectuais mon service national. Nous étions à six ou sept dans la chambrée et nous écoutions la radio. Soudain, nous avons tous bondi de nos lits quand a été retransmis le premier concert d'Alan Stivell à l'Olympia : qui était ce Kabyle qui n'est pas Kabyle, mais qui chantait d'une manière qui nous était tellement familière ? »
Identité. « Le Breton appartient au monde celtique comme le Kabyle appartient au monde berbère. Vos cousins sont les Irlandais, les Écossais, les Gallois... Les nôtres s'appellent Chleuhs, Touaregs... Chez nous, dans nos chansons et notre imaginaire poétique, on fait référence à la montagne, comme vous à l'océan. Vous avez la bombarde et le biniou, nous avons des instruments à vent qui leur ressemblent, sans doute parce que, au départ, tous étaient taillés dans un même roseau. Les Celtes ont été de grands voyageurs, les Berbères aussi. La preuve, c'est que beaucoup de Bretons se sont mariés à des femmes kabyles, des Kabyles à des Bretonnes, et tout ce petit monde vit aujourd'hui des deux côtés de la Méditerranée. Mais ce qui rapproche plus encore Bretons et Kabyles, c'est le côté rebelle et la quête d'identité culturelle, linguistique. Paradoxalement, ici, la culture bretonne a beaucoup de moyens d'expression par des festivals comme celui de Lorient, par les médias aussi, ce qui est moins le cas pour nous. Mais quand le kabyle est parlé partout en Kabylie, ici on parle principalement le français. Aussi, quand je viens chanter à Carhaix pour les trente ans des écoles Diwan, c'est une démarche normale, logique, d'amitié et de soutien. Je crois qu'il y a des cultures qui sont plus en danger que d'autres. L'important, à mes yeux, ce n'est ni de les étouffer ni, a contrario, de les imposer, c'est simplement de les laisser s'exprimer. Après... ce sera aux enfants nés de ces cultures de montrer qu'ils veulent les faire vivre ou pas. »
Il vivra ! « Mon vrai nom est Hamid Cheriet. Mais beaucoup de Kabyles portent le prénom Idir, qui signifie ' il vivra '. Ce sont les femmes qui le donnaient à leurs enfants à une époque où il n'y avait pas d'hôpitaux, pas de soins, avec des épidémies qui ravageaient les populations et s'attaquaient, en premier lieu, aux nouveau-nés. Leurs parents les appelaient alors Idir, dans l'espoir que leurs petits échapperaient aux fléaux. J'ai donc naturellement choisi ce nom de scène, parce que, moi, j'ai envie et besoin que ma culture vive. »
Propos recueillis par
Jérôme GAZEAU.
Photo : Marc Ollivier.